Patrice Auvray, auteur de "Souviens-toi du Joola", après quelques mois passé en France retourne chez lui en Casamance sur sa moto.
Lundi 17 décembre 2012
Un tel voyage ne se passe pas sans incidents, en négatifs ou en
positifs, surtout en moto. Des petits aléas du départ jusqu'au temps
qu'il fait, la première journée est démonstrative du voyage entier. Ceci
fait que j'y suis particulièrement attentif.
Aujourd'hui, je quitte la France comme chaque année, et une fois de plus ce départ est riche en symboles.
Le mauvais temps annoncé a laissé le soleil filtrer à travers une
éclaircie une fois mes bagages préparés et le petit déjeuner avalé,
juste pour me laisser partir de bonne humeur. Le soleil qui a suivi
n'est pas le seul responsable de mon sourire, je pars en quittant une
fois de plus les stress habituels des occidentaux, mais si le chemin
m'est devenu familier, mon bagage l'est moins. Je ne parle pas de ce
gros sac sur le porte-bagage, ni de celui que je porte sur les épaules,
j'évoque celui que mon coeur trimbale.
Ce livre que j'ai mis si longtemps à écrire en le peaufinant pour le
rendre digne de ceux qui sont morts, pour que les lecteurs puissent y
mesurer l'importance du drame qu'il raconte, ce livre qui m'a mis en
marge des vivants si longuement, qui m'a retenu dans cette demie-vie au
fin fond de ma mémoire avant qu'elle ne défaille, ce livre qui m'a
appris à bien écrire, et à ouvrir le coeur des gens, ce livre a déjà
dépassé mes espérances. Depuis son édition, tous ceux qui l'ont lu ont
été marqués par la vision du drame dont cette écriture témoigne, et si
beaucoup de mes proches ont un autre regard sur mon travail, de nouveaux
contacts de qualité se sont créés auprès de lecteurs qui ne me
connaissaient pas avant. Je suis saisi par l'impact qu'il peut avoir sur
les lecteurs.
C'est l'énergie venant de leurs témoignages de sympathie qui
représentent la plus grande partie de ce que je peux transporter sur
cette moto. Des conseils de prudence aux encouragements, des mots
gentils aux visages émus, j'ai la tête pleine d'un amour que je sens
communicatif à tel point que toutes les personnes rencontrées étaient
d'un gentillesse exquise, souriantes et vibrantes comme rarement on peut
les ressentir.
Pourtant, tout ceci ne représentait que le décors de mon état
d'esprit. La joie qui se mouvait en lui durant cette journée venait bien
d'avantage d'une muse vers laquelle je me dirige. Elle fait partie des
nouveaux lecteurs de mon livre, et en a été tellement touchée que ses
courriers de sympathie frisent la déclaration d'amour. À vrai dire, ce
n'est pas la première fois... mais c'est la première fois que j'y suis
autant sensible. Me suis-je dévoilé à ce point que des lectrices
puissent y voir le fond de mon âme ? La prudence face à l'ego oblige à
me demander si c'est bien le fond de mon âme. Tout ce travail d'écriture
était tellement dans cette direction, et je savais que pour toucher le
lecteur au plus profond de lui-même afin de le faire réagir, il me
fallait me dévoiler le plus intimement possible. Ce quatrième manuscrit
enfin édité n'est pourtant pas complet, et bien des choses plus intimes
encore étaient dans les précédents. Ce livre est-il donc le fond de mon
âme ?
Cette éternelle question de ce que l'on peut écrire et ce que l'on
ne peut pas, qu'il faut renoncer à se poser finalement un jour ou
l'autre pour figer ce que le lecteur lira... Comment connaître l'impact
que cela aura avant d''en voir le résultat ? Comment imaginer que tant
d'amour puisse se trouver dans des mots que l'on tape sur des touches ?
Cet amour n'est-il pas aussi illusoire que l'orthographe peut l'être
face au sens du mot ? Mais l'est-elle vraiment ?
Ces questions viennent de notre mental, mais j'ai fait le choix il y
a longtemps déjà de suivre mes sentiments avant mes réflexions, et en
personne sensible je crie que mes sentiments doivent dicter ma conduite,
bien plus encore que mon écriture. Et si mon écriture dictée par ces
sentiments profonds amènent des lecteurs à développer de l'amour en me
lisant, leur propre écriture peut aussi en développer en moi. Où donc
pourrait se trouver le moindre mal là-dedans ?
Le coeur empli et pourtant léger, rien ne peut m'arriver sur cette
route tant que l'amour me guide. Je vole au dessus des risques comme
pendant et après le naufrage, dans ce sentiment d'immortalité qui peut
rendre visionnaire, omniscient. Cette petite pluie occasionnelle en
traversant les Pyrénées ne peut être du mauvais temps, et le soleil en
descendant vers le sud de l'Espagne est sa suite logique. L'attention
est maîtresse du pilotage, et nulle fatigue ne peut travestir la
position de conduite.
Ces départs sont pour moi absolument magiques, et je me sens maître
de ma destinée en refusant de l'être, car il est indispensable pour que
cela soit de se sentir en accord avec les éléments et non leur maître.
Se mettre face à son destin est comme se mettre face aux énergies,
il est nécessaire de se sentir petit et à sa place pour être "en
accord". Si l'on n'est pas en accord, rien n'est possible, tout est
accidentel. Et pour être en accord, l'amour universel est indispensable.
Merci infiniment à vous tous, et à toi ma muse, pour me faire
partager cette énergie créatrice, et merde à celui qui voudrait me faire
dire où elle naît...
Je suis porteur, et tellement fier de ma charge que je ne veux pas
raccourcir mon chemin. Je viens vers vous, même vers ceux que je quitte,
et j'espère avoir renversé un peu de mon fardeau en route pour que les
oiseaux puissent y picorer et les fleurs s'en nourrir. Cette emphase
n'est pas le reflet de mon orgueil, mais celui de ma joie. Ce soir, je
suis heureux, une fois de plus...
Patrice
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