A l'occasion de la sortie de son second roman Quelques mois d'une France lointaine, voici une interview d'Ilf-Eddine.
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Les blogs recèlent de
bonnes critiques de ton premier roman, « La dernière ronde », aux
éditions Elyzad, cela a-t-il rendu l’écriture de ton second plus
difficile ?
Au contraire, c’est
un bel encouragement ! L’écriture d’un roman est une aventure longue et solitaire :
des avis positifs sur un travail précédent ne peuvent que renforcer la
motivation de la mener à terme. Quant à l’argument selon lequel cela
« rajoute une pression supplémentaire », je ne l’ai jamais
compris : le niveau d’exigence, vous vous l’imposez vous-même sitôt que
vous soumettez une œuvre à un public, il n’est pas lié à un succès ou un échec
passé.
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Quelle fut la genèse
de Quelques mois d’une France lointaine ?
Une genèse double, je
dirais. D’une part, j’avais le sentiment d’être arrivé à maturité dans le
regard que je portais sur l’expatriation, le milieu de la coopération
internationale, mes années en Asie du Sud-Est… Il était temps pour moi de me
lancer dans la rédaction de ce roman que je portais en moi depuis cinq ou six
ans.
D’autre part, d’un
point de vue littéraire, après un premier roman très épuré, monologue d’un
personnage unique, j’avais envie de me mesurer à quelque chose de plus
complexe, avec plus de personnages, écrit à la troisième personne… Sur ce
second point, je n’ai que partiellement respecté ma feuille de route, puisque
le roman a pas mal « réduit à la cuisson » : sa forme finale ne
représente qu’une moitié de ce que je projetais d’écrire. Le passage du texte
rêvé au texte réel rend souvent ce genre de verdicts, auxquels il vaut mieux se
plier, comme on accepte l’autonomie progressive d’un enfant qui grandit. Au
final, donc, par rapport à « La dernière ronde », il y a plus de
personnages importants, on est sorti du monologue, mais on reste sur un format
relativement court, ce n’est pas un texte fleuve !
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Pourquoi avoir choisi
de créer un pays imaginaire plutôt que de situer l’histoire dans un pays que tu
connais ?
S’il fallait
m’auto-coller une étiquette, je me revendiquerais de la « fiction
réaliste » - les deux termes sont importants. J’assume le
« réalisme », notion parfois injustement dépréciée : mes romans
cherchent à s’inscrire dans une réalité sociale et historique, mes personnages
ont des trajectoires familiales, des métiers, des profils psychologiques… Pour
faire bref, je ne suis pas du tout Nouveau Roman. En même temps, j’assume aussi
la « fiction » : je n’écris pas des autobiographies, même
déguisées en autofictions, ni des récits de voyage… La fiction est la grande
machine à concasser ce que l’on a vu, vécu ou lu pour le réinjecter dans une
histoire totalement inventée… Elle peut être réaliste, mais elle n’est pas
« réelle ».
Cela posé, il y a un
vrai équilibre que je dois trouver quand j’écris un roman : je dois
entremêler ce qui est réel et ce qui est inventé de façon à ce que le texte
s’ancre dans le réel mais n’en soit pas la simple relation. C’est très amusant
à faire ! Mais ça implique d’être vigilant : ni s’imposer un carcan
trop rigide, ni tomber dans l’irréalisme – car la fiction peut être inventée,
mais elle ne peut paraître fausse.
Pour « Quelques
mois d’une France lointaine », j’avais déjà beaucoup d’éléments réels liés
à la vie politique française de la période que je décris. Choisir en plus un
vrai pays d’Asie du Sud-Est aurait rajouté trop de contraintes : il aurait
fallu coller à la réalité historique vietnamienne, cambodgienne ou
thaïlandaise, ce qui n’était pas l’idée. Inventer la Khersonésie m’a permis de
m’affranchir de ces contraintes-là. Pour autant, s’il n’est pas
« réel », j’espère que ce pays est très « vrai », et qu’il
rend compte, même partiellement, de ce qu’est l’Asie du Sud-Est.
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C’est un livre
asiatique ou universel ?
Asiatique, sûrement
pas, ce serait faux et sans doute prétentieux de prétendre cela… S’il doit être
de quelque part, c’est avant tout un roman français, de par sa langue et son
propos. Quant à l’universel… Je ne sais pas très bien ce que c’est !
J’imagine que toute œuvre réussie a une dimension universelle, par sa capacité
à toucher des gens issus de différentes cultures et différents milieux. Ce sera
aux lecteurs de juger !
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Tu fais des portraits
très fins, sans concession mais il y a toujours une touche d’empathie envers
tes personnages…
C’est vrai, à des
degrés variables. Le propre du roman est pour moi d’explorer les zones grises,
les petites hontes derrière les grandes gloires comme les petits héroïsmes
derrière les grandes lâchetés… Il y a forcément un rapport d’ironie
bienveillante vis-à-vis des personnages, qui ne peuvent nous être totalement
étrangers.
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Ce monde de réseaux
et de luttes d’influence, il est tel que tu l’as vécu lors de tes différents
postes à l’étranger ?
Oui, même si ce n’est
pas le propre de la diplomatie et de la coopération : il y a des réseaux
et des luttes d’influence partout. La diplomatie a des caractéristiques qui
agissent comme une loupe grossissante : taille réduite des communautés
expatriées, attractivité des carrières, tradition séculaire du corps
diplomatique… Tout devient particulièrement visible, comme caricatural, et
aussi un peu décalé, un peu irréel.
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Que représente
l’écriture pour toi ?
Un des
deux domaines où je suis à la poursuite d’un idéal – alors que je ne suis pas
idéaliste de nature, ce qui est un peu paradoxal. L’autre domaine est le jeu
d’échecs, mais j’y ai déjà assez exactement cerné mes limites. En littérature,
j’ai l’impression, justifiée, d’être un jeune auteur, à peine plus qu’un
débutant, avec encore beaucoup à faire et à prouver… C’est grisant d’avoir dans
sa vie un long chemin sur lequel on avance pas à pas, à son rythme.
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Quels sont tes
écrivains ou tes livres favoris ?
Je
distinguerais deux catégories : les écrivains que j’aime parce que leur
œuvre est un exemple de ce que je voudrais réaliser, et ceux que j’aime parce
que leur œuvre est totalement différente de ce que je voudrais réaliser !
Ma
boussole, ma référence, mon père spirituel en écriture romanesque, c’est
Flaubert. Il a la grâce de la formule, cette façon toujours subtile de voir et
dire les choses, et il a ajouté à cela une somme de travail considérable, dans
la documentation, le repérage, la construction des intrigues. C’est un talent
fou, qui écrivait des romans dès douze ou treize ans, qui est parvenu à
dépasser sa propre facilité en se remettant complètement en question… Il
mettait cinq ans à écrire un roman.
Dans
l’autre catégorie, ceux que j’admire parce qu’ils sont complètement différents,
je mettrais ceux qui s’affranchissent du réalisme, tout en restant si justes dans
leur description de l’homme… Pour n’en citer que deux : Gabriel Garcia
Marquez, qui vient de nous quitter, ou Alessandro Baricco.
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