I
Afrique
Il ne chercha pas
Kamanzi, pas vraiment, lors de sa première visite. L'avion atterrit dans le
hurlement des inverseurs de poussée et aussitôt les hublots se brouillèrent de
condensation, comme si l'appareil eut été un énorme animal volant qui suait par
tous ses pores dans la chaleur féroce. Les portes s'ouvrirent, et l'odeur de
l'Afrique parfuma immédiatement la cabine: charbon de bois, ordures brûlantes,
zestes de terreau, de ciment rongé par l'humidité—et derrière, toujours,
l'haleine fétide de la rivière qui avait conféré à ce vaste pays son nom.
Il passa ses premiers
jours à l'Europa, où l'hebdomadaire lui avait réservé une chambre. La plupart
des journalistes descendaient dans cet hôtel avant de partir pour l'est, pour
la guerre. L'Europa, un bâtiment moderne à douze étages, avec climatisation,
piscine, terrasse et mur d'enceinte, semblait de prime abord bien éloigné des
troubles et combats de ce pays en déroute. Mais l'isolement était loin d'être
parfait; toutes les quatre heures, en moyenne, l'électricité, et donc les
téléphones, le « centre médias », la climatisation et les
réfrigérateurs, tombaient en panne. Le générateur de secours se mettait en
branle, avant de s'enrayer dix ou vingt minutes après. Alors la chaleur,
l'humidité revenaient par chaque cadre de fenêtre mal calfeutré, chaque fêlure
dans le béton armé; et les ombres chaudes suscitées par la journée semblaient
surgir des boulevards vides, des terrains en friche qui séparaient et
encerclaient les ambassades, les sièges de banques, les sociétés de
télécommunication, les ministères.
Quand le courant était
coupé, les gardes privés de l'Europa se réveillaient, ou plus exactement
dormaient moins, fouillant parfois du regard les recoins sombres du Boulevard
du 30 Juin en tripotant les crans de sûreté de leurs Kalachnikovs. De leur
côté, les journalistes se retrouvaient au bar, à la lumière des bougies sorties
par Diego, le barman mozambicain. Ils se donnaient pour mission de boire le
stock de bières fraîches avant qu'elles ne retrouvent la température ambiante
de la nuit, qui était aussi la température du sang, d'un sang légèrement
enfiévré.
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