jeudi 20 décembre 2012

Départ

Patrice Auvray, auteur de "Souviens-toi du Joola", après quelques mois passé en France retourne chez lui en Casamance sur sa moto.

Lundi 17 décembre 2012
Un tel voyage ne se passe pas sans incidents, en négatifs ou en positifs, surtout en moto. Des petits aléas du départ jusqu'au temps qu'il fait, la première journée est démonstrative du voyage entier. Ceci fait que j'y suis particulièrement attentif.
Aujourd'hui, je quitte la France comme chaque année, et une fois de plus ce départ est riche en symboles.
Le mauvais temps annoncé a laissé le soleil filtrer à travers une éclaircie une fois mes bagages préparés et le petit déjeuner avalé, juste pour me laisser partir de bonne humeur. Le soleil qui a suivi n'est pas le seul responsable de mon sourire, je pars en quittant une fois de plus les stress habituels des occidentaux, mais si le chemin m'est devenu familier, mon bagage l'est moins. Je ne parle pas de ce gros sac sur le porte-bagage, ni de celui que je porte sur les épaules, j'évoque celui que mon coeur trimbale.
Ce livre que j'ai mis si longtemps à écrire en le peaufinant pour le rendre digne de ceux qui sont morts, pour que les lecteurs puissent y mesurer l'importance du drame qu'il raconte, ce livre qui m'a mis en marge des vivants si longuement, qui m'a retenu dans cette demie-vie au fin fond de ma mémoire avant qu'elle ne défaille, ce livre qui m'a appris à bien écrire, et à ouvrir le coeur des gens, ce livre a déjà dépassé mes espérances. Depuis son édition, tous ceux qui l'ont lu ont été marqués par la vision du drame dont cette écriture témoigne, et si beaucoup de mes proches ont un autre regard sur mon travail, de nouveaux contacts de qualité se sont créés auprès de lecteurs qui ne me connaissaient pas avant. Je suis saisi par l'impact qu'il peut avoir sur les lecteurs.
C'est l'énergie venant de leurs témoignages de sympathie qui représentent la plus grande partie de ce que je peux transporter sur cette moto. Des conseils de prudence aux encouragements, des mots gentils aux visages émus, j'ai la tête pleine d'un amour que je sens communicatif à tel point que toutes les personnes rencontrées étaient d'un gentillesse exquise, souriantes et vibrantes comme rarement on peut les ressentir.
Pourtant, tout ceci ne représentait que le décors de mon état d'esprit. La joie qui se mouvait en lui durant cette journée venait bien d'avantage d'une muse vers laquelle je me dirige. Elle fait partie des nouveaux lecteurs de mon livre, et en a été tellement touchée que ses courriers de sympathie frisent la déclaration d'amour. À vrai dire, ce n'est pas la première fois... mais c'est la première fois que j'y suis autant sensible. Me suis-je dévoilé à ce point que des lectrices puissent y voir le fond de mon âme ? La prudence face à l'ego oblige à me demander si c'est bien le fond de mon âme. Tout ce travail d'écriture était tellement dans cette direction, et je savais que pour toucher le lecteur au plus profond de lui-même afin de le faire réagir, il me fallait me dévoiler le plus intimement possible. Ce quatrième manuscrit enfin édité n'est pourtant pas complet, et bien des choses plus intimes encore étaient dans les précédents. Ce livre est-il donc le fond de mon âme ?
Cette éternelle question de ce que l'on peut écrire et ce que l'on ne peut pas, qu'il faut renoncer à se poser finalement un jour ou l'autre pour figer ce que le lecteur lira... Comment connaître l'impact que cela aura avant d''en voir le résultat ? Comment imaginer que tant d'amour puisse se trouver dans des mots que l'on tape sur des touches ? Cet amour n'est-il pas aussi illusoire que l'orthographe peut l'être face au sens du mot ? Mais l'est-elle vraiment ?
Ces questions viennent de notre mental, mais j'ai fait le choix il y a longtemps déjà de suivre mes sentiments avant mes réflexions, et en personne sensible je crie que mes sentiments doivent dicter ma conduite, bien plus encore que mon écriture. Et si mon écriture dictée par ces sentiments profonds amènent des lecteurs à développer de l'amour en me lisant, leur propre écriture peut aussi en développer en moi. Où donc pourrait se trouver le moindre mal là-dedans ?
Le coeur empli et pourtant léger, rien ne peut m'arriver sur cette route tant que l'amour me guide. Je vole au dessus des risques comme pendant et après le naufrage, dans ce sentiment d'immortalité qui peut rendre visionnaire, omniscient. Cette petite pluie occasionnelle en traversant les Pyrénées ne peut être du mauvais temps, et le soleil en descendant vers le sud de l'Espagne est sa suite logique. L'attention est maîtresse du pilotage, et nulle fatigue ne peut travestir la position de conduite.
Ces départs sont pour moi absolument magiques, et je me sens maître de ma destinée en refusant de l'être, car il est indispensable pour que cela soit de se sentir en accord avec les éléments et non leur maître.
Se mettre face à son destin est comme se mettre face aux énergies, il est nécessaire de se sentir petit et à sa place pour être "en accord". Si l'on n'est pas en accord, rien n'est possible, tout est accidentel. Et pour être en accord, l'amour universel est indispensable.
Merci infiniment à vous tous, et à toi ma muse, pour me faire partager cette énergie créatrice, et merde à celui qui voudrait me faire dire où elle naît...
Je suis porteur, et tellement fier de ma charge que je ne veux pas raccourcir mon chemin. Je viens vers vous, même vers ceux que je quitte, et j'espère avoir renversé un peu de mon fardeau en route pour que les oiseaux puissent y picorer et les fleurs s'en nourrir. Cette emphase n'est pas le reflet de mon orgueil, mais celui de ma joie. Ce soir, je suis heureux, une fois de plus...
Patrice

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