vendredi 20 juin 2014

Interview d'Ilf-Eddine

A l'occasion de la sortie de son second roman Quelques mois d'une France lointaine, voici une interview d'Ilf-Eddine. 


-          Les blogs recèlent de bonnes critiques de ton premier roman, « La dernière ronde », aux éditions Elyzad, cela a-t-il rendu l’écriture de ton second plus difficile ?

Au contraire, c’est un bel encouragement ! L’écriture d’un roman est une aventure longue et solitaire : des avis positifs sur un travail précédent ne peuvent que renforcer la motivation de la mener à terme. Quant à l’argument selon lequel cela « rajoute une pression supplémentaire », je ne l’ai jamais compris : le niveau d’exigence, vous vous l’imposez vous-même sitôt que vous soumettez une œuvre à un public, il n’est pas lié à un succès ou un échec passé.

-          Quelle fut la genèse de Quelques mois d’une France lointaine ?

Une genèse double, je dirais. D’une part, j’avais le sentiment d’être arrivé à maturité dans le regard que je portais sur l’expatriation, le milieu de la coopération internationale, mes années en Asie du Sud-Est… Il était temps pour moi de me lancer dans la rédaction de ce roman que je portais en moi depuis cinq ou six ans.

D’autre part, d’un point de vue littéraire, après un premier roman très épuré, monologue d’un personnage unique, j’avais envie de me mesurer à quelque chose de plus complexe, avec plus de personnages, écrit à la troisième personne… Sur ce second point, je n’ai que partiellement respecté ma feuille de route, puisque le roman a pas mal « réduit à la cuisson » : sa forme finale ne représente qu’une moitié de ce que je projetais d’écrire. Le passage du texte rêvé au texte réel rend souvent ce genre de verdicts, auxquels il vaut mieux se plier, comme on accepte l’autonomie progressive d’un enfant qui grandit. Au final, donc, par rapport à « La dernière ronde », il y a plus de personnages importants, on est sorti du monologue, mais on reste sur un format relativement court, ce n’est pas un texte fleuve !

-          Pourquoi avoir choisi de créer un pays imaginaire plutôt que de situer l’histoire dans un pays que tu connais ?

S’il fallait m’auto-coller une étiquette, je me revendiquerais de la « fiction réaliste » - les deux termes sont importants. J’assume le « réalisme », notion parfois injustement dépréciée : mes romans cherchent à s’inscrire dans une réalité sociale et historique, mes personnages ont des trajectoires familiales, des métiers, des profils psychologiques… Pour faire bref, je ne suis pas du tout Nouveau Roman. En même temps, j’assume aussi la « fiction » : je n’écris pas des autobiographies, même déguisées en autofictions, ni des récits de voyage… La fiction est la grande machine à concasser ce que l’on a vu, vécu ou lu pour le réinjecter dans une histoire totalement inventée… Elle peut être réaliste, mais elle n’est pas « réelle ».

Cela posé, il y a un vrai équilibre que je dois trouver quand j’écris un roman : je dois entremêler ce qui est réel et ce qui est inventé de façon à ce que le texte s’ancre dans le réel mais n’en soit pas la simple relation. C’est très amusant à faire ! Mais ça implique d’être vigilant : ni s’imposer un carcan trop rigide, ni tomber dans l’irréalisme – car la fiction peut être inventée, mais elle ne peut paraître fausse.

Pour « Quelques mois d’une France lointaine », j’avais déjà beaucoup d’éléments réels liés à la vie politique française de la période que je décris. Choisir en plus un vrai pays d’Asie du Sud-Est aurait rajouté trop de contraintes : il aurait fallu coller à la réalité historique vietnamienne, cambodgienne ou thaïlandaise, ce qui n’était pas l’idée. Inventer la Khersonésie m’a permis de m’affranchir de ces contraintes-là. Pour autant, s’il n’est pas « réel », j’espère que ce pays est très « vrai », et qu’il rend compte, même partiellement, de ce qu’est l’Asie du Sud-Est.

-          C’est un livre asiatique ou universel ?

Asiatique, sûrement pas, ce serait faux et sans doute prétentieux de prétendre cela… S’il doit être de quelque part, c’est avant tout un roman français, de par sa langue et son propos. Quant à l’universel… Je ne sais pas très bien ce que c’est ! J’imagine que toute œuvre réussie a une dimension universelle, par sa capacité à toucher des gens issus de différentes cultures et différents milieux. Ce sera aux lecteurs de juger !

-          Tu fais des portraits très fins, sans concession mais il y a toujours une touche d’empathie envers tes personnages…

C’est vrai, à des degrés variables. Le propre du roman est pour moi d’explorer les zones grises, les petites hontes derrière les grandes gloires comme les petits héroïsmes derrière les grandes lâchetés… Il y a forcément un rapport d’ironie bienveillante vis-à-vis des personnages, qui ne peuvent nous être totalement étrangers.

-          Ce monde de réseaux et de luttes d’influence, il est tel que tu l’as vécu lors de tes différents postes à l’étranger ?

Oui, même si ce n’est pas le propre de la diplomatie et de la coopération : il y a des réseaux et des luttes d’influence partout. La diplomatie a des caractéristiques qui agissent comme une loupe grossissante : taille réduite des communautés expatriées, attractivité des carrières, tradition séculaire du corps diplomatique… Tout devient particulièrement visible, comme caricatural, et aussi un peu décalé, un peu irréel.

-          Que représente l’écriture pour toi ?

Un des deux domaines où je suis à la poursuite d’un idéal – alors que je ne suis pas idéaliste de nature, ce qui est un peu paradoxal. L’autre domaine est le jeu d’échecs, mais j’y ai déjà assez exactement cerné mes limites. En littérature, j’ai l’impression, justifiée, d’être un jeune auteur, à peine plus qu’un débutant, avec encore beaucoup à faire et à prouver… C’est grisant d’avoir dans sa vie un long chemin sur lequel on avance pas à pas, à son rythme.

-          Quels sont tes écrivains ou tes livres favoris ?

Je distinguerais deux catégories : les écrivains que j’aime parce que leur œuvre est un exemple de ce que je voudrais réaliser, et ceux que j’aime parce que leur œuvre est totalement différente de ce que je voudrais réaliser !

Ma boussole, ma référence, mon père spirituel en écriture romanesque, c’est Flaubert. Il a la grâce de la formule, cette façon toujours subtile de voir et dire les choses, et il a ajouté à cela une somme de travail considérable, dans la documentation, le repérage, la construction des intrigues. C’est un talent fou, qui écrivait des romans dès douze ou treize ans, qui est parvenu à dépasser sa propre facilité en se remettant complètement en question… Il mettait cinq ans à écrire un roman.


Dans l’autre catégorie, ceux que j’admire parce qu’ils sont complètement différents, je mettrais ceux qui s’affranchissent du réalisme, tout en restant si justes dans leur description de l’homme… Pour n’en citer que deux : Gabriel Garcia Marquez, qui vient de nous quitter, ou Alessandro Baricco.

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