lundi 14 mars 2016

La première page d'Enquête sur Kamanzi

Nous avons le plaisir de vous présenter la première page, même pas encore passée entre les mains de la correctrice, du prochain roman Globophile : Enquête sur Kamanzi de Georges Foy.

I
Afrique

 Il ne chercha pas Kamanzi, pas vraiment, lors de sa première visite. L'avion atterrit dans le hurlement des inverseurs de poussée et aussitôt les hublots se brouillèrent de condensation, comme si l'appareil eut été un énorme animal volant qui suait par tous ses pores dans la chaleur féroce. Les portes s'ouvrirent, et l'odeur de l'Afrique parfuma immédiatement la cabine: charbon de bois, ordures brûlantes, zestes de terreau, de ciment rongé par l'humidité—et derrière, toujours, l'haleine fétide de la rivière qui avait conféré à ce vaste pays son nom.

Il passa ses premiers jours à l'Europa, où l'hebdomadaire lui avait réservé une chambre. La plupart des journalistes descendaient dans cet hôtel avant de partir pour l'est, pour la guerre. L'Europa, un bâtiment moderne à douze étages, avec climatisation, piscine, terrasse et mur d'enceinte, semblait de prime abord bien éloigné des troubles et combats de ce pays en déroute. Mais l'isolement était loin d'être parfait; toutes les quatre heures, en moyenne, l'électricité, et donc les téléphones, le « centre médias », la climatisation et les réfrigérateurs, tombaient en panne. Le générateur de secours se mettait en branle, avant de s'enrayer dix ou vingt minutes après. Alors la chaleur, l'humidité revenaient par chaque cadre de fenêtre mal calfeutré, chaque fêlure dans le béton armé; et les ombres chaudes suscitées par la journée semblaient surgir des boulevards vides, des terrains en friche qui séparaient et encerclaient les ambassades, les sièges de banques, les sociétés de télécommunication, les ministères.

Quand le courant était coupé, les gardes privés de l'Europa se réveillaient, ou plus exactement dormaient moins, fouillant parfois du regard les recoins sombres du Boulevard du 30 Juin en tripotant les crans de sûreté de leurs Kalachnikovs. De leur côté, les journalistes se retrouvaient au bar, à la lumière des bougies sorties par Diego, le barman mozambicain. Ils se donnaient pour mission de boire le stock de bières fraîches avant qu'elles ne retrouvent la température ambiante de la nuit, qui était aussi la température du sang, d'un sang légèrement enfiévré.

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