mercredi 10 décembre 2014

Extrait 2 : la terre en Guadeloupe

Deuxième extrait du livre de Willy Marze Au cœur du Péyi Guadeloupe - Enquête sur une identité. Sortie le 5 janvier. 

La plage de Cluny est un de ces endroits qui vous surprend par sa beauté sauvage. Un sable roux recouvre la lisière de la forêt et l'océan s'évanouit en ondes vigoureuses engloutissant le rivage. C'est aux abords de ce cadre que Francine tient son commerce. Un restaurant créole à l'ombre de palmiers au-dessus d'un littoral où les vagues s'arrachent sur des rochers longilignes. À l'horizon, un grand roc en forme de casque sort des eaux : « C'est Tête à l'Anglais » dit-elle lorsque nous buvons un café à l'une des tables de sa terrasse, les pieds dans le sable chaud.
Mais aujourd'hui, Francine n'a pas le cœur à rire. Elle qui a l'habitude de se répandre en extravagances, n'en trouve plus la force. Le corps drapé dans une robe large aux motifs colorés, ses yeux trahissent une gravité que je ne lui connaissais pas.
  En face de la plage, il y a des terres cultivables qui vont jusqu'à la montagne, m'explique-t-elle. Ce n'était que des bois et nos ancêtres ont tout défriché. Et jusqu'à maintenant, nous cultivons encore sur cette terre-là.
Sa peine est si visible que je la laisse se confier sans rien dire. Elle prend une grande bouffée d'air avant de reprendre.
 Mais tu comprends, quand nous sommes arrivés, il n'y avait pas de titre de propriété. Tu parles! Ça n'existait pas ! Et maintenant il veut nous la reprendre.
  De qui parles-tu Francine ?
  Ce béké !! Il dit qu'il est propriétaire aussi ! Et il est prêt à tout pour nous faire fuir ! Il a brulé tout mon jardin avec des pesticides. Une récolte entière ! Tu te rends compte ? dit-elle le menton tremblant.
Elle se contient. Par fierté. Mais l'émotion semble encore vive.
  Il est venu comme ça, dans nos champs, avec des hommes de main et des chiens ! rajoute-t-elle la voix tremblante.
Elle étrangle un sanglot en évitant mon regard et cherche du courage en suivant des yeux les vagues qui déboulent.
  Tu te rends compte, avec des chiiiens !!! Comme... comme au temps de l'esclavage pour nous traquer. Comme si on était des… bêtes !!

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